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jeudi 11 octobre 2012

Le foot-business contre l'agriculture paysanne

Dans le classement des Grands Projets Inutiles Imposés (1), la construction du Grand Stade de l’Olympique Lyonnais, appelé temporairement « OL Land », pourrait figurer en bonne position. Promu conjointement depuis 2007 par Jean-Michel Aulas, PDG de OL Groupe et Gérard Collomb, sénateur-maire de Lyon et président du Grand Lyon, ce projet, estimé à 450  millions d'euros, ne se contente pas d'envisager la construction d'un nouveau stade de foot de 60 000 places mais un immense complexe sportif et commercial sur 50 hectares. Ce qui se joue avec ce projet n'est pas une querelle technique ou stratégique sur l'emplacement d'un nouveau stade mais, plus fondamentalement, l'enjeu politique de caractériser et de promouvoir ce qu'est l'intérêt général. Pour nous, c'est le choix entre une course en avant aveugle d'un coté et la transition écologique et sociale de nos territoires de l'autre ; pour nous, c'est le choix entre le foot-business et l'agriculture paysanne.

La célébration du foot-business : un intérêt général bien particulier

Ne nous faisons aucune illusion sur les discours angéliques qui justifient ce projet par la rhétorique si peu critiquée de la « cause noble du sport ». D'abord, parce qu'une telle cause, si toutefois il était possible d'en formuler la signification, ne va pas de soi. Bien au contraire, nous sommes plutôt enclin à penser, comme Michel Caillat (2), que le sport n'est pas neutre politiquement mais porteur de représentations du monde et de valeurs inconsciemment incorporées ; ou encore, comme George Orwell, que le sport « c'est la guerre sans les coups de feu ». Le foot-business, dont l'OL est probablement une figure de prou, est le reflet d'une idéologie, celle de la compétition de tous contre tous et de la loi du plus fort, le reflet d'un capitalisme bien installée dans les esprits. Défenseurs d'un autre monde plus juste, plus solidaire, plus humain, nous ne faisons pas l'impasse sur la critique nécessaire de cette institution sociale complexe qu'est devenue le sport. 
Ensuite, parce que ce projet n'est rien d'autre qu'une opération financière à peine déguisée. Sous prétexte que le stade de Gerland ne serait pas suffisant pour satisfaire la demande du public et répondre aux exigences de l’Euro 2016, l'OL entend bien assurer son parcours boursier, dont on connait les incertitudes, par l'acquisition d'un actif immobilier conséquent. Pour Jean-Michel Aulas, le stade de Gerland, qui ne lui appartient pas, ne dégage pas assez de revenus propres. Avec ce projet, OL Groupe pourra développer des activités annexes fortement rémunératrices : des bureaux, des boutiques, plusieurs équipements de loisirs et de divertissements, des centaines de chambres d’hôtel et quelques 8 000 mètres carrés de bureaux d’affaires. 

Mais si OL Groupe a de grandes ambitions, ce n'est pas à n’importe quel prix : pas question d’acheter des terrains constructibles au prix du « marché » ou de supporter seul les investissements. En ayant acheté au Grand Lyon des terres classées agricoles à 45 Euros/m² quelques mois avant que ces mêmes terres passent en constructible grâce à une révision du PLU adoptée par le Grand Lyon, on peut dire que l'OL a mené une belle manoeuvre spéculative : les terrains pourront être revendus aux entreprises souhaitant investir dans le projet à plus de 300€/m². Une opération concertée entre Aulas et Collomb ? Plusieurs faits nous y invitent (3). Autre manoeuvre « habile », en mai 2011 le Grand Stade est reconnu comme étant d’intérêt général, selon une loi d’exception pour les stades de l’Euro 2016. Au mépris du Code des collectivités publiques et du Code du Sport, cette loi autorise les collectivités à arroser d’argent public des entreprises lucratives privées. Le Grand Stade déclaré d'intérêt général, dès lors, tout est facilité pour la stratégie économique de l'OL : autorisation d’installation dans la zone protégée du « V vert » (4) de l’est lyonnais, révision du PLU (5) facilitée, expropriation forcée des paysans sur l’emplacement du complexe sportif et le long des nouvelles infrastructures d’accès et, cerise rose pâle sur le gâteau empoisonné, tous les coûts liés aux infrastructures d’accès - routes, parking, tramways - seront supportés par des fonds publics ; quelques centaines de millions d'euros (6). 

Ces politiques d’« investissements et pertes publiques ; bénéfices privés » sont tout aussi connues que dangereuses. Investir des fonds publics dans des infrastructures favorisant exclusivement une entreprise privée pour un projet, dont les motifs d'intérêt général sont plus que discutables, alors que tous les budgets fondamentaux des collectivités territoriales – notamment la santé et l'éducation sont asphyxiés par des coupes budgétaires sans précédent, est une totale aberration. Si ces quelques raisons nous suffisent pour refuser catégoriquement un tel projet, il en est une qui nous touche particulièrement, celle du devenir des zones agricoles péri-urbaines, et qui nous oblige à poser une question éminemment politique : de quel intérêt général parlons-nous ? 

Maintenir et développer une agriculture péri-urbaine nourricière: une nécessité d'intérêt général 

Ce Grand Projet Inutile Imposé, version lyonnaise, implique la destruction d'une centaine d'hectares de terres agricoles fertiles, le démembrement d'ensembles agricoles cohérents et opérationnels, ainsi que l'expropriation d'une trentaine de paysans. L'exemple de la famille Morel en est significatif. Maraichers sur la commune de Chassieu depuis plusieurs générations, nourrissant une soixantaine de familles en AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) et livrant plusieurs marchés de l'agglomération lyonnaise, ils vont être expulsés sans aucune possibilité de reclassement. Une ferme de plus qui va donc disparaitre et s'ajouter aux 35 000 autres connaissant le même sort chaque année (7). 

La réalisation de l'immense complexe du Grand Stade ainsi que les infrastructures d’accès vont mettre à mal un équilibre territorial déjà fortement fragilisé par la pression urbaine. Les terres agricoles qui vont être urbanisées pour ce projet sont à l’image d'une France qui continue de grignoter ses terres fertiles et de réduire les capacités d'autonomie alimentaire de ses territoires (8). Chaque année, ce sont 66 000 ha de terres agricoles qui sont artificialisés, soit l'équivalent de 160 ha par jour ou encore la surface d'un département moyen qui disparaît tous les 10 ans. En Rhône-Alpes, ce sont quelques 4000 ha de terres qui perdent leur usage agricole chaque année, avec une forte pression en zones péri-urbaines faisant peu à peu disparaître les derniers paysans situés en proche périphérie des centres urbains. 


En totale contradiction avec toutes les recommandations récentes des pouvoirs publics (SCOT, Charte d'objectifs pour l'agriculture péri-urbaine, Agenda 21, Conseil de développement, ...), nous assistons donc une destruction silencieuse du potentiel agronomique de la France, de ses capacités d'auto-suffisance alimentaire (9), qui va à l'encontre de la nécessaire transition écologique et sociale que nous devons opérer sur nos territoires. Une transition qui vise prioritairement à remettre au coeur de nos préoccupations les besoins vitaux des populations et parmi ceci l'alimentation. L'enjeu est aujourd'hui largement documenté et de multiples expérimentations, comme les AMAP, en montrent la voie : pour pouvoir nourrir les populations - en préservant les ressources naturelles, dans le respect de la santé humaine, en favorisant un aménagement équilibré du territoire, en consolidant le tissu rural local, en recréant du lien entre les mondes urbain et rural et en arrêtant de piller les ressources du sud - il est essentiel de maintenir et de développer une agriculture de qualité et créatrice d'emplois en zone péri-urbaine. Il s'agit d'un enjeu majeur de notre temps, une nécessité d'intérêt général qui ne peut être bradée sur l'autel de la finance ou de la folie des grandeurs. Chaque ferme qui disparaît, chaque hectare de terre fertile artificialisée est une insulte à l'avenir. Ici comme ailleurs, nous devons résister à ces renversements de priorités, nous devons porter collectivement une autre voix pour que l'intérêt général ne soit plus une notion vague mais bien l'expression de projets communs ayant une forte utilité sociale et écologique. 


Résistances et réappropriation citoyenne

Depuis quatre ans, de nombreux citoyens et plusieurs associations luttent pour faire connaître les aberrations de ce projet et tenter de l’endiguer. La bataille se mène sur tous les fronts : une trentaine de recours juridiques sont en cours, la bataille des idées avance notamment avec une pétition qui a réuni en quelques jours le soutien de plus de 5000 personnes sur l'idée que la défense et la promotion d'une agriculture péri-urbaine nourricière est une oeuvre d'intérêt général (10), la convergence des luttes s'organise autour d'un collectif d'une trentaine d'associations11 et la mise en place d'un camp de résistance sur les terres menacées (en lien avec les autres ZAD "Zone à Défendre" comme celle de Notre-Dame-des-Landes). S'appuyant sur des revendications locales et très concrètes (des habitants, des paysans, des citoyens, …), la mobilisation contre le stade fait émerger des réflexions politiques de fond que chacun se réapproprie progressivement : vers quelles priorités devraient s'orienter les actions et le financement des collectivités publiques ? Quels sont les processus de décision ? Quelle intervention citoyenne pour décider de l'aménagement d'un territoire ? De quel intérêt général parlons-nous ? Comment résister tout en créant ? La résistance à ce projet aberrant de l'OL Land devient un catalyseur de réappropriation citoyenne des enjeux du « vivre ensemble », des enjeux d'intérêt général comme la promotion d'une agriculture nourricière de proximité.



(1) Le 2° Forum Européen contre les Grands Projets Inutiles Imposés a eu lieu du 7 au 11 juillet 2012 à Notre Dame des Landes (près de Nantes,-Loire Atlantique France). Voir : http://forum-gpii-2012-ndl.blogspot.fr/
(2) Michel Caillat. Le sport, Collection Idées reçues, Le cavalier bleu, 2002
(3) Voir : Lyon Capital, mars 2012
(4) Cette zone agricole, comprise entre Décines et Chassieu, est inscrite à l’inventaire des espaces naturels sensibles du Département et figure également dans celui des sites d’intérêt écologique du Grand Lyon.
(5) Plan Local d'Urbanisme
(6) Voir le site www.carton-rouge-decines.fr pour plus d'informations sur le contenu de ce projet.
(7) La France compte actuellement 500 000 fermes, appelées « exploitations agricoles », soit environ cinq fois moins qu'en 1950.
(8) Renforcer « le degrés d'autonomie alimentaire de l'agglomération » lyonnaise figure pourtant dans un certain nombre de recommandations, notamment celles du Conseil de développement du Grand Lyon qui publiait en 2010 une contribution intitulée «Maintenir et soutenir l’agriculture périurbaine comme vecteur de développement d’une métropole lyonnaise durable ». Cette contribution appelait à conserver et à gérer le foncier agricole de façon pérenne pour développer l'agriculture péri-urbaine. Où en sont ces intentions au moment où l'on s'apprête à exproprier des dizaines de paysans et à bétonner une bonne centaine de terres agricoles fertiles en zone péri-urbaine ?
(9) Faut-il rappeler que, par exemple, nos troupeaux sont dépendants à 80% de l’importation de tourteaux protéagineux depuis les États-Unis, le Brésil ou encore l'Argentine, ou encore que le Limousin ne produit que 8 % des aliments qu’il consomme ?
(10) Pour voir et rejoindre les 5000 signataires de la pétition : http://www.alliancepec-rhonealpes.org/PetitionGrandStade
(11) Voir : http://lesgonespourgerland.blogspot.fr

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